Juan José Saer
Lignes du Quichotte
Traduit de l’espagnol par Michèle Planel
Collection : Otra memoria
48 pages
7,61 €
978-2-86432-369-3
janvier 2003
Contrairement à l’idée reçue, Don Quichotte n’est pas une épopée. Et c’est précisément en cela qu’il nous est proche. Le Cid, par exemple, voué à la reconquête, progresse à chaque page alors que l’anti-héros de Cervantès est contraint à la répétition du même. Aucune aventure ne le fait avancer. Le seul événement qui transforme vraiment sa destinée, c’est sa mort. À l’échec perpétuel de ses entreprises, il n’oppose aucun démenti qui pourrait remettre en cause son idéal. La réalité ne l’entame pas. Il poursuit inlassablement sa course à l’échec. C’est le premier héros kafkaïen. Or, paradoxalement, cette immobilité en mouvement devient une forme de réussite. Il veut changer le monde et n’y parvient pas mais, ce faisant, c’est le destin du roman qu’il change – donc celui de la représentation du monde.
À travers sa démonstration pleine de virtuosité, Juan José Saer arrive à nous convaincre que, contre les héros épiques, c’est l’éternel perdant qui a gagné.
Le premier thème important du Quichotte que nous pouvons mettre au jour, c’est justement le démantèlement de l’épopée. Je ne compte pas apporter ici quelque vérité nouvelle sur le Quichotte, non plus que quelque sens caché, ce que la critique récente semble y chercher en priorité : moi, je crois que le Quichotte est un livre qui contient un tel foisonnement d’évidences, qu’y chercher des sens cachés est un peu superflu puisque toutes ces évidences, qui nous aveuglent pratiquement à chaque page, des lectures infinies n’en viendront jamais à bout. Au nombre de ces évidences : le démantèlement systématique de l’épopée que propose le livre, et qui devrait être, à mes yeux, le point de départ de toute analyse féconde du Quichotte.