Extrait
(Siège épiscopal de Cyrène.)
Synésios seul près d’une fenêtre.
Synésios
Peut-être est-ce l’âge ou l’inaction – que dire ?
Souvent il m’arrive de me perdre en des rêveries menaçantes,
celle-ci par exemple, où un poète d’une autre époque,
future peut-être, peut-être simplement celle qui naîtra de nous,
dans une langue encore in mente Dei revisiterait
un jour qui sait pourquoi notre histoire
sans le moindre égard pour nous personnes de chair et d’os
chacune avec ses goûts domestiques ou tournés vers le dehors,
malade de raffinement ou liée par nature
aux plaisirs du faubourg :
en somme, sans voir en nous des hommes ayant existé tels quels,
ce poète ne songerait qu’à découvrir
des signes, s’en présumant l’interprète.
C’est curieux, mais je redoute une violence de cet ordre.
Il en est de pire, d’accord – mais celle-ci
attaque la part spécifique, unique,
la seule où la vie soit vraie et légitime.
Que resterait-il de moi ? un nom
lié à une pensée, inscrit sur un événement.
Et Hypatie ? D’elle, ce peu qu’on sait d’un autre
moi seul puis le connaître, et ce peu je le cache.
Pourtant ne faisons-nous pas nous-mêmes ce que fait ce poète,
vivant le présent tels des otages du futur,
rappelant le passé, le mettant
au feu d’une épreuve qui n’est pas la sienne, dans l’ouvrage d’à présent ?
Comme est délicat et vulnérable le bourgeon de vérité d’une époque.
Comme un rien peut gâter la saveur d’une vie…
Discours de fou, dû à la sénilité – je m’en rends compte.
D’où me vient cette jalousie soudaine
ou plutôt ce soin maniaque des bribes ?
Cette crainte d’être infidèle… à quoi ? disons au tourment précis
de l’instant tel qu’il fut vécu – ou tel qu’il nous parut.
Et pourtant quelle réalité est plus réelle en soi
que lorsqu’elle se transforme en autre chose ? – je pourrais presque le répéter par cœur.
Et ce n’est pas autre chose, mais sa profondeur même – cela non plus, je n’ai pas à l’apprendre.