Pierre Michon
Mythologies d’hiver
Collection : Collection jaune
96 pages
11,50 €
978-2-86432-264-1
mars 1997
Il importe peu que le Gévaudan et l’Irlande soient les scènes où se jouent ces drames brefs. Ce qui importe, c’est qu’avec le monde on fasse des pays et des langues, avec le chaos du sens, avec les prés des champs de batailles, avec nos actes des légendes et cette forme sophistiquée de la légende qu’est l’histoire, avec les noms communs du nom propre. Que les choses de l’été, l’amour, la foi et l’ardeur, gèlent pour finir dans l’hiver impeccable des livres. Et que pourtant dans cette glace un peu de vie reste prise, fraîche, garante de notre existence et de notre liberté.
Ce peu de vérité mortelle qui brûle dans le cœur froid de l’écrit, la beauté chétive de l’une et la splendeur impassible de l’autre, voilà ce que je me suis efforcé de dire ici.
Pierre Michon
Dans sa tente de guerre à Cul Dreihmne, Columbkill tremblant défait la sacoche, sort le livre. C’est plein et docile comme une femme. C’est à lui comme le veau est à la vache, comme la femme est à l’amant : de l’incipit au colophon, c’est à lui. Il veut en jouir lentement, il ouvre, il caresse, il parcourt, il contemple – et soudain il ne tremble plus, il ne rit plus, il est triste, il a froid, il cherche dans le texte quelque chose qu’il a lu et ne trouve plus, dans l’image quelque chose qu’il a vu et qui a disparu. Il cherche longtemps en vain ; cela était là pourtant, quand ce n’était pas à lui. Tout semble avoir été gâché, avoir changé, seul peut-être le colophon est semblable à lui-même, le colophon où le moine Faustus demande qu’on prie pour lui. Columbkill relève la tête, il entend le râle des blessés et la joie des corneilles. Il sort de sa tente, il ne pleut plus : et même là-haut de grands morceaux de bleu voyagent par-dessus l’étable de la mort. Le livre n’est pas dans le livre. Le ciel est un vieil endroit bleu sous lequel on se tient nu, sous lequel ce qu’on possède fait défaut. Il jette le livre, il jette sa pelisse et son épée. Il prend la bure, il prend la mer, il cherche et trouve un désert dans la mer détestable d’Irlande : sur l’île pelée d’Iona, il s’assoit libre et dénué sous le ciel qui parfois est bleu.
24 heures, 1er avril 1997, René Zahnd
L’Humanité, 13 juin 1997, par Jean-Claude Lebrun
Choisir, juin 1997, par Benny Lévy
Luxemburger Wort, 26 juin 1997, par Alain Bertrand
Tribune de Genève, 3 juin 1997, par Corinne Desarzens
Notes bibliographiques, juin 1997
La Croix, 29 juin 1997, par Didier Laroque
Traductions
Vuur van Brigid en andere wintermythen, trad. Rokus Hofstede, Manet van Montfrans, Amsterdam, Oorschot, 2005 (néerlandais).
Winter Mythologies and Abbots, trad. Ann Jefferson, New Haven, Yale University Press, 2014 (anglais).