Patrick Autréaux

Se survivre

Collection : Collection jaune

80 pages

10,00 €

978-2-86432-717-2

mars 2013

« Sur le lit, étalées, des photos du poète… Ce visage sur lequel je voyage, cabossé et plein de grottes – désespoir, désillusion, désenchantement – mais qui a survécu. »

Une promesse est au cœur de ces tableaux :
celle, faite par un jeune homme à un vieux poète dissident, d’écrire son histoire. Les années les ont éloignés, la promesse n’a pas été tenue. Le sentiment de cette dette resurgit quand le jeune homme se découvre gravement malade.
Il s’efforce alors de s’en acquitter.

Lorsque je repensais à ces moments-là, tout ce que je faisais de la maladie pour l’apprivoiser se crevait. Rien que des décors éteints, et le noir derrière. Même pas l’horreur ou le chaos. Rien. Et pas le rien de tout avec ses perspectives de prédestination en arrière-fond, mais un rien vide.
Alors, la révolte. Contre quoi ? Contre qui ? Contre les attentes déçues ? Mais a-t-on jamais cru à ce qui finit par décevoir parce qu’on semble avoir attendu en vain ? Attentes vagues, promesses non faites ou simplement faites d’avoir été des espoirs non contredits, de s’être laissés accroire.
Ce à quoi on s’attendait ? Impossible de préciser. Un regret flottant et sans objet, une douleur de ne pas être, qu’on chasse, et nous voici sur le seuil des si j’avais su, de tout ce en quoi on est prêt de plonger – rivière boueuse où s’empêtrent un tapis d’algues, autant d’entraves, et aussi ce regret des amours perdues, d’une jeunesse révolue –, embués et plombés par des plaintes, par le silence quand on est condamné, par les désirs frustrés qui cachent un deuil autrement plus vaste et enveloppent tout de brume, nous pénètrent à notre insu, nous voilent, nous font vieillir.
Tout a menti, rien n’a tenu promesse. Pourtant rien n’avait fait de promesse. Rien n’a jamais parlé. Tout se tait. Ou écoute peut-être. Sinon pourquoi cette féerie qui s’était mise en scène depuis que j’étais tombé malade ? Ces décors transparents, si particuliers, sur quoi la nuit, pendant les siestes, se projetaient les rêves. Les rêves bien sûr. N’étaient-ce pas eux les vrais compagnons ? Eux et ces nuits qui commençaient n’importe quand, s’achevaient quand elles voulaient pour recommencer, revenir, mourir comme des rouleaux de vagues. Les nuits en une longue nuit et quelques aurores vite éteintes. Les nuits et comme le souvenir d’une très longue éclipse.
C’était pourtant par le jour qu’avait commencé la nuit : en pleine lumière. Comme souvent avec les grandes évidences existentielles. Par une extase étrange, qui n’empruntait rien à un soleil plein feu, sans nuage rose orangé et sans horizon : le spectacle aveugle d’une éternité qui tue.
Ça, j’étais encore incapable de l’écrire.

« 28 minutes », dans le cadre du sujet « Écrivains : comment raconter la maladie ? », Arte, jeudi 23 janvier 2014, à 20h05