Traduction collective de l'italien. Édition brochée épuisée (1997)
Collection : Verdier/poche
224 pages
9,63 €
978-2-86432-512-3
septembre 2007
Le 17 mai 1972, le commissaire Calabresi est assassiné à Milan. Ce policier avait été présenté, notamment par le journal contestataire Lotta Continua, comme responsable de la mort d’un anarchiste, Giuseppe Pinelli, dont on avait découvert le corps défenestré, en décembre 1969, dans le jardin de la préfecture de police : Pinelli avait été convoqué pour un interrogatoire après le massacre de la Banque de l’Agriculture – attentat qui relevait, on l’a su depuis, de la « stratégie de la tension » mise en œuvre par des éléments néofascistes et d’autres liés à l’appareil d’État.
Seize ans plus tard, en juillet 1988, Leonardo Marino, ex-militant du groupe Lotta Continua, s’accuse d’avoir participé au meurtre et met en cause ses camarades Ovidio Bompressi, Giorgio Pietrostefani, et Adriano Sofri. Au terme d’un périple judiciaire – sept procès en neuf ans – les trois hommes sont condamnés, sans preuve et sur la seule foi des « aveux » de ce « repenti », à vingt-deux ans d’emprisonnement, tandis que leur accusateur bénéficie de la prescription.
Dans cette affaire, l’auteur retrouve maints aspects des procès en sorcellerie, qu’il a souvent étudiés d’un point de vue historique, notamment ceux qu’intenta l’Inquisition aux seizième et dix-septième siècles. La réflexion méthodologique sur les indices et les preuves, et l’analyse des démarches comparées du juge et de l’historien, se mêlent ici à une étude minutieuse des documents et témoignages, qui révèle l’inconsistance des accusations portées. L’affaire Sofri ne concerne pas le seul lecteur italien : comment fut-elle possible en démocratie ? Bompressi, Pietrostefani et Sofri sont victimes d’une erreur judiciaire qui peut et doit être corrigée.
Chronologie
12 décembre 1969. Au plus fort des luttes ouvrières de l’« automne chaud », quatre attentats frappent à Rome l’Autel de la Patrie et la Banque Nationale du Travail, et à Milan la Banque Commerciale et la Banque de l’Agriculture. Ce dernier attentat fait seize morts. La police, les autorités gouvernementales et la grande presse proclament aussitôt que les anarchistes sont responsables.
15 décembre 1969. Le cheminot anarchiste Pino Pinelli meurt en tombant du bureau du commissaire Luigi Calabresi, au quatrième étage de la préfecture de police de Milan, où il était illégalement détenu depuis plus de trois jours. La préfecture de police soutient qu’il s’est jeté par la fenêtre à cause des preuves accablantes de culpabilité contre lui et l’anarchiste Pietro Valpreda. Cette version montre aussitôt sa fausseté. Cet épisode suscite une énorme émotion. Lotta Continua, dans son journal, se déclare persuadé que Pinelli a été assassiné et que, dans le massacre du 12 décembre, sont impliqués des services de l’État.
1970. Classée en mai, l’enquête sur Pinelli est de fait rouverte quand le commissaire Calabresi porte plainte contre le journal Lotta Continua, qui l’accuse depuis des mois, par des articles et des dessins humoristiques. Le procès s’ouvre en octobre 1970, mais s’interrompt au mois d’avril suivant, quand la Cour décide l’exhumation du cadavre de Pinelli pour de nouvelles expertises. L’avocat de Calabresi récuse le président, responsable, selon ses dires, d’avoir exprimé confidentiellement une position défavorable au commissaire.
Automne 1971. Par suite d’une plainte portée cette fois-ci par la veuve de Pinelli, Licia, Calabresi et d’autres fonctionnaires et agents de la préfecture de police de Milan sont inculpés d’homicide. L’affaire est classée en octobre 1975 par le juge D’Ambrosio, qui exclut à la fois homicide et suicide et suggère la thèse d’un « malaise actif ».
5 mai 1972. À Pise, à la veille des élections politiques anticipées, des heurts violents se déroulent entre les forces de police et des jeunes qui, à l’appel de Lotta Continua, tentent d’interdire la tenue d’un meeting du parti néo-fasciste MSI. Au cours de ces heurts, un jeune anarchiste, Franco Serantini est sévèrement matraqué ; il meurt de ses blessures deux jours plus tard en prison, faute de soins.
17 mai 1972. Calabresi est assassiné en sortant de chez lui, rue Cherubini à Milan, de deux coups de pistolet tirés à bout portant. Les premières enquêtes sont menées en direction de personnes liées à Lotta Continua. On désigne tout d’abord comme suspects un ancien ouvrier d’Alfa Romeo émigré en Allemagne, deux militants irlandais, un homme et une femme, invités en Italie par Lotta Continua, une jeune Milanaise, et d’autres encore.
31 mai 1972. À Peteano, près de Gorizia, trois carabiniers attirés dans un guet-apens sont tués par l’explosion d’une bombe. De hauts officiers des carabiniers, qui seront par la suite formellement inculpés pour avoir lancé de fausses pistes (certains seront d’ailleurs condamnés), accréditent, en l’attribuant au « repenti » Marco Pisetta, la thèse d’un dessein unique de Lotta Continua à l’origine de l’assassinat de Calabresi et de la tuerie de Peteano.
17 mai 1973. Au cours de la cérémonie d’inauguration d’un buste du commissaire Calabresi à la préfecture de Milan, en présence du ministre de l’Intérieur Rumor, Gianfranco Bertoli, qui se déclare anarchiste individualiste, lance une grenade qui provoque une tuerie parmi des personnes sans défense qui se trouvaient là. À la fin de 1990, on reparle de Bertoli, qui est en prison depuis dix-huit ans après une condamnation à perpétuité, comme un des membres de l’organisation Gladio. Les services secrets soutiennent qu’il s’agit d’une homonymie, tandis que le magistrat chargé de l’enquête découvre que le dossier sur son cas est incomplet. Un dossier au nom de Bertoli avait été ouvert par Calabresi avant sa mort. Le lendemain du meurtre de Calabresi, les informations sur Bertoli et une photo de lui avaient été envoyés par la préfecture de police de Venise à celle de Milan pour être montrées aux témoins oculaires de l’attentat, qui déclarèrent ne pas l’avoir vu.
1974. Deux hommes d’extrême-droite, le Milanais Gianni Nardi et le Romain Bruno Stefano, sont inculpés du meurtre de Calabresi, avec une de leurs amies, l’Allemande Gudrun Kiess. Nardi est accusé d’avoir tiré, Gudrun Kiess d’avoir conduit la 125 bleue utilisée lors de l’attentat. Après quelques mois, les deux hommes sont disculpés car ils fournissent un alibi ; Gudrun Kiess reste encore quelque temps en prison bien que ses deux coïnculpés soient disculpés et qu’elle-même n’ait pas le permis de conduire.
Novembre 1976. Auto-dissolution de Lotta Continua. Le journal quotidien continuera d’exister pendant quelques années.
1980. Sur la base de rumeurs provenant d’ex-militants de la « lutte armée », un militant milanais de Lotta Continua, Marco Fossati, est mis en examen pour le meurtre de Calabresi. Fossati l’apprend par le titre et la photographie d’un magazine : le juge d’instruction, Lombardi, ne lui a rien notifié.
28 juillet 1988. Adriano Sofri, Giorgio Pietrostefani et Ovidio Bompressi sont arrêtés chez eux à l’aube et transférés à Milan dans des casernes de carabiniers. Les deux premiers sont accusés d’être les donneurs d’ordre, le troisième d’être l’exécuteur du meurtre de Calabresi pour le compte de Lotta Continua. L’imputation repose sur les déclarations de Leonardo Marino qui, pour sa part, s’accuse d’avoir conduit la voiture ayant servi au crime. Trois mois plus tard, les trois hommes sont remis en liberté.
Août 1989. Le juge Lombardi clôt l’instruction, en décidant le renvoi en jugement pour le meurtre du commissaire Calabresi des quatre accusés qui, à l’exception de Sofri, sont également inculpés pour une série de vols à main armée commis, selon Marino, entre 1971 et 1973. Marino et d’autres personnes qu’il a dénoncées sont également inculpés pour d’autres vols à main armée commis jusqu’en 1987.
Janvier 1990. Le procès s’ouvre à Milan, à la troisième section de la cour d’assises. La cour arrête préliminairement la non-prise en compte des vols « post-politiques » et l’inclusion des autres. Le 2 mai 1990, après cinq jours de délibérations, la cour condamne Sofri, Pietrostefani et Bompressi à vingt-deux ans et Marino à onze ans de prison pour le meurtre de Calabresi. Il y a des acquittements pour certains délits mineurs, et prescription dans tous les autres cas. Sofri confirme sa décision de ne pas faire appel. Le parquet de Milan décide de suspendre l’exécution du verdict à son égard, à cause du lien entre sa position et celles de ses coïnculpés qui eux font appel.
Janvier 1991. Huit mois et demi après le verdict, les motivations sont déposées.
12 juillet 1991. Le verdict est confirmé en appel. Le cas de Sofri, qui a refusé de faire appel, est adjoint à celui de ses amis.
23 octobre 1991. Les sections réunies de la cour de cassation annulent le premier procès.
21 décembre 1992. Verdict d’acquittement. Les motivations du verdict, rédigées par un des assesseurs favorables à la thèse de la culpabilité des accusés amènent la Cour de Cassation à annuler également ce procès, le 21 décembre 1993.
27 octobre 1994. Nouveau verdict concluant à la culpabilité des inculpés. Bompressi, Pietrostefani et Sofri sont condamnés à 22 ans de prison. Leonardo Marino, dont les dénonciations constituent le seul élément à charge, bénéficie pour sa part de la prescription des faits qui lui sont reprochés. La Cour de cassation confirme ce dernier verdict le 23 janvier 1997.
24 janvier 1997. Bompressi et Sofri se présentent à la prison de Pise où ils sont incarcérés. Giorgio Pietrostefani, qui résidait en France, d’où il ne risquait pas d’être extradé car la loi française aurait considéré qu’il y avait prescription des faits qui lui sont reprochés, décide de rejoindre ses camarades pour mener à leurs côtés le combat pour la reconnaissance de leur innocence. Il quitte la France le 29 janvier pour être à son tour emprisonné à Pise.
Soirée « Exactitude et vérité », avec Carlo Ginzburg, Jean-Claude Milner et Jean-Claude Zancarini, à Lagrasse, le 10 août 1998 :
Intervention de Carlo Ginzburg, puis le film L’Affaire Sofri (2001) et une discussion avec le réalisateur, Jean-Louis Comolli, au Centre Pompidou, le 26 avril 2007 :
« Justice et Inquisition », avec Carlo Ginzburg et Jean-Louis Comolli, à Lille, en 2009 :
Le Monde, 26 septembre 1997, par Pierre Lepape
Die Zeit, 31 janvier 1997, par Carlo Ginzburg
Libération, 10 février 1997, par Édouard Mir
L’Histoire, janvier 1998, par Patrick Boucheron
« Les lundis de l’histoire », par Laure Adler, France Culture, lundi 1er décembre 1997
« Voix du silence », par Antoine Spire, avec la collaboration de Jeanette Patzierkovsky, « L’Italie en finira-t-elle avec les années de plomb ? », France Culture, septembre 1997