Le Monde, 1er mars 2005, par Patrick Kéchichian
Mario Luzi, la voix polyphonique du monde
Le poète Mario Luzi est mort lundi 28 février à Florence où il résidait,...
Lire l'articleNé à Castello, près de Florence, en 1914, Mario Luzi est reconnu aujourd’hui comme un des poètes majeurs de ce siècle en Europe et comme le plus éminent représentant de cette « troisième génération » poétique italienne qui regroupe à ses côtés Bertolucci, Bigongiari, Caproni et Sereni.
Poète, nouvelliste, essayiste, auteur d’écrits pour le théâtre et traducteur de nombreux poètes français, anglais, espagnols, Mario Luzi est une figure intellectuelle de premier plan. Il a longuement enseigné la littérature française à l’Institut des sciences politiques de Florence. Son propre mémoire de maîtrise fut consacré à Mauriac et parut en 1938 sous le titre français L’Opium chrétien. Ses études critiques dans le domaine des lettres françaises sont très nombreuses et parurent tout au long de sa carrière : Studio su Mallarmé (Étude sur Mallarmé) en 1952, Aspetti della generazione napoleonica (Aspects de la génération napoléonienne) en 1956, Lo stile di Constant (Le Style de Benjamin Constant) en 1962.
L’apparition de Mario Luzi sur la scène poétique italienne fut éclatante et précoce : La Barque (La barca), dès 1935, fixa quelques-unes des lignes de force auxquelles le poète resterait fidèle sa vie durant (exaltation de la vie dans sa complexité, figure de la mère et de la jeune fille, présence des paysages toscans, enquête métaphysique).
Son second recueil, Avènement nocturne (Avvento notturno) marque, en 1940, un tournant hermétique : l’écriture, extrêmement codifiée, se veut ici néosymboliste, tendue vers un événement de parole quasi mallarméen, dans un mélange de références mythologiques et d’obscures épiphanies. La nécessité de soustraire la parole poétique au regard de la censure fasciste et à la brutalité du contexte n’est pas étrangère à l’intellectualisation qui marquera les œuvres luziennes des années 40. En 1942, la même poétique donnera son unique fruit en prose, Biografia a Ebe (Biographie à Hébé). En compagnie de Gatto, Bigongiari, Parronchi, et des critiques Oreste Macrì et Carlo Bo, Mario Luzi incarne alors ce qu’il est convenu d’appeler l’hermétisme florentin. Une libation (Un brindisi) est, en 1946, le dernier volume luzien qui se rattache à cette aire assez strictement symboliste : dès Cahier gothique (Quaderno gotico), en 1947, la parole, qui se fait plus librement amoureuse, aspire à se libérer du carcan venu des temps de guerre. La prise en compte du réel, au sortir du conflit, induira la progressive incarnation d’une poésie désormais hantée par le désir d’adhérer à la métamorphose du vivant.
Les étapes de cette évolution seront : Prémices du désert (Primizie del deserto) en 1952, puis Honneur du vrai (Onore del vero) en 1956, qui marque un total adieu à l’hermétisme, dont la leçon stylistique et morale s’exprimera dorénavant à travers des formes souples, soumises à un constant principe de variation. Un an après la mort de sa mère, Mario Luzi lui dédie le volume dans lequel il regroupe tous ses livres poétiques antérieurs, et qu’il intitule Il giusto della vita (Le Juste de la vie). Il comprend alors clairement que s’achève une phase de son travail.
Dans le magma (Nel magma), dont la première édition date de 1963 et la seconde, augmentée, de 1966, marque un moment capital non seulement de la poétique luzienne mais de la poésie italienne de la seconde moitié du siècle : réconciliant quête du sens et libre écoute des aspects les plus critiques ou contradictoires de la réalité personnelle et collective, ce recueil incarne une ouverture en direction de la poésie narrative, tout en maintenant la densité métaphysique et spirituelle des recueils précédents. Poésie dialoguée, polyphonique, où le « moi » poétique entre en résonance avec d’autres sujets actifs et parlants, créant une subtile dialectique inscrite dans le quotidien. En 1965, Du fond des campagnes (Dal fondo delle campagne), centré sur la terre siennoise et sur la figure de la mère disparue, affirme qu’il est vital de briser « le dur filament d’élégie » et de s’arracher aux tentations régressives. L’arrière-pays de Sienne y devient un paysage de l’âme et l’emblème le plus intime de toute l’œuvre du poète.
Sur d’invisibles fondements (Su fondamenti invisibili) instaure dès 1971 la forme que la poésie luzienne conservera jusqu’aux livres les plus récents : de longues laisses – où s’affrontent et se complètent le lyrisme et la pensée – réactivent l’utopie, incarnée par Dante, d’une poésie métamorphique et plurilinguistique, n’opposant aucune rigidité à l’émergence du réel et de l’événement. Ce pacte poétique, passé avec une réalité insaisissable mais qui fonde toute responsabilité, donnera des fruits d’une haute valeur humaine et artistique : Al fuoco della controversia (Au feu de la controverse), en 1978, est sans doute le livre de Mario Luzi où l’auteur se laisse interroger le plus profondément par la pluralité du réel, par l’impossibilité de le dire, par la fin de toute globalité envisageable. Au fond, c’est alors que se consomme vraiment chez lui la fin des illusions néoplatoniciennes.
Nell’opera del mondo (Dans l’œuvre du monde) est, en 1979, le titre du second volume – après Il giusto della vita – de ce qui constitue alors l’intégrale de sa poésie.
Les années 80 et 90 verront paraître trois grands livres poétiques, Pour le baptême de nos fragments (Per il battesimo dei nostri frammenti) en 1985, Frasi e incisi di un canto salutare (Phrases et incises d’un chant de salut) en 1990 et, en 1994, Voyage terrestre et céleste de Simone Martini (Viaggio terrestre e celeste di Simone Martini), où le poète tente une réconciliation entre l’âme et la modernité, entre le désir de l’unité retrouvée à travers le sens et le devoir d’accepter la réalité dans sa perpétuelle déchirure.
Cette œuvre poétique, si riche et si évolutive, s’accompagne d’une intense réflexion critique, dont témoignent divers recueils d’essais, notamment Vicissitudine e forma (Vicissitude et forme) en 1974, Discorso naturale (Discours naturel) en 1984 et Naturalezza del poeta (Naturel du poète) en 1995.
Dans le domaine théâtral, Mario Luzi a rejoint ses plus belles créations poétiques avec Livre d’Hypatie (Libro di Ipazia), publié en 1978, avant de proposer une exploration de la figure même du comédien dans Hystrio (1987).
Il a par ailleurs traduit, avec ce même sens de la métamorphose qui marque sa propre poésie, Richard II de Shakespeare, et des poèmes de Mallarmé, Michaux et d’autres auteurs français réunis dans le recueil La cordigliera delle Ande (La Cordillière des Andes), paru en 1983, et qui représente son « carnet de traduction » le plus personnel, véritable laboratoire – sous certains aspects – de sa propre poésie.
Vie fidèle à la vie, anthologie poétique, trad. Pascale Charpentier, Antoine Fongaro et Michel Orcel, Obsidiane/Villa Médicis, Paris-Rome, 1984 (édition bilingue)
L’Incessante Origine (Dal fondo delle campagne, Nel magma, Su fondamenti invisibili), poèmes, trad. Philippe Renard et Bernard Simeone, préf. P. Renard, postf. B. Simeone, Flammarion, Paris, 1985 (édition bilingue)
Lieux (proses extraites de Trame), trad. Philippe Renard et Bernard Simeone, Maison du Livre, Pérouges, 1985 (édition bilingue, avec des gravures de Venturino Venturi)
Pour le baptême de nos fragments (Per il battesimo dei nostri frammenti), poèmes, trad. Philippe Renard et Bernard Simeone, précédé d’un entretien avec l’auteur, Flammarion, Paris, 1987 (édition bilingue)
Mi-figue, mi-raisin (Semiserie), poèmes, trad. Éliane Deschamps, L’Échoppe, Caen, 1989 (édition bilingue)
Dans l’œuvre du monde, anthologie poétique, trad. et préfaces Philippe Renard et Bernard Simeone, La Différence, « Orphée », Paris, 1991 (édition bilingue)
La Barque (La barca) suivi de Avènement nocturne (Avvento notturno), poèmes, trad. Jean-Yves Masson, précédé d’un entretien avec l’auteur, La Différence, Paris, 1991 (édition bilingue).
Mallarmé, au fil du temps, préface à Poésies de Stéphane Mallarmé, La Différence, « Orphée », Paris, 1991
Prémices du désert (Primizie del deserto) suivi de Honneur du vrai (Onore del vero), trad. Antoine Fongaro et Jean-Yves Masson, préf. Jean-Yves Masson, La Différence, Paris, 1994 (édition bilingue).
Poèmes, trad. François Livi, Jean-Yves Masson, Philippe Renard et Bernard Simeone in Anthologie bilingue de la poésie italienne, dir. Danielle Boillet, Gallimard, Paris, 1994
Large sélection excluant en particulier les volumes à tirage limité.
La barca, poesie, Guanda, Parma, 1935 ; edizione aggiornata: Parenti, Firenze, 1942
Avvento notturno, poesie, Vallecchi, Firenze, 1940
Biografia a Ebe, prose, Vallecchi, Firenze, 1942 (ora in Trame, Rizzoli, Milano, 1983)
Un brindisi, poesie, Sansoni, Firenze, 1946
Quaderno gotico, poesie, Vallechi, Firenze, 1947
Primizie del deserto, poesie, Schwarz, Milano, 1952
Onore del vero, poesie, Neri Pozza, Venezia, 1956
Il giusto della vita, poesie, Garzanti, Milano, 1960 (include tutte le raccolte poetiche precedenti e qualche poesia sparsa)
Nel magma, poesie, Scheiwiller, Milano, 1963 ; edizione aggiornata: Garzanti, Milano, 1966
Dal fondo delle campagne, poesie, Einaudi, Torino, 1965
Su fondamenti invisibili, poesie, Rizzoli, Milano, 1971
Ipazia, teatro, Scheiwiller, Milano, 1973 ; « All’insegna del Pesce d’Oro, Milano, 1994
Poesie, antologia, Garzanti, Milano, 1974
Al fuoco della controversia, poesie, Garzanti, Milano, 1978
Il libro di Ipazia, teatro, Rizzoli, collana « BUR », Milano, 1978
Il giusto della vita e Nell’opera del mondo, poesie, Garzanti, Milano, 1979 (Nell’opera del mondo include tutte le poesie dalla raccolta Nel Magma alla raccolta Al fuoco della controversia)
Rosales, teatro, Rizzoli, collana « BUR », Milano, 1983
Trame, prose, Rizzoli, Milano, 1983
La cordigliera delle Ande, traduzioni poetiche, Einaudi, Torino, 1983 ; nuova edizione, 1992
Il silenzio, la voce, poesie e prose, Sansoni, Firenze, 1984
Per il battesimo dei nostri frammenti, poesie, Garzanti, Milano, 1985
Hystrio, teatro, Rizzoli, Milano, 1987
Tutte le poesie, Garzanti « Gli Elefanti », Milano, 1988
Corale della città di Palermo per santa Rosalia, teatro, San Marco dei Giustiniani, Genova, 1989
Frasi e incisi di un canto salutare, poesie, Garzanti, Milano, 1990
Il Purgatorio. La notte lava la mente, drammaturgia di un’ascensione in La Commedia (con Giovanni Giudici e Edoardo Sanguineti), Costa & Nolan, Genova, 1990
Perse e brade, poesie e traduzioni, Newton Compton, Roma, 1990
L’alta, la cupa fiamma (antologia), Rizzoli, collana « BUR », Milano, 1992
Io, Paola, la commediante, teatro, Garzanti, Milano, 1992
Leggere e scrivere, colloquio con Mario Specchio, Marco Nardi, Firenze, 1993
Viaggio terrestre e celeste di Simone Martini, poesie, Garzanti, Milano, 1994
Pietra oscura, opera drammatica inedita del 1947, a cura di Stefano Verdino, « I quaderni del battello ebbro », Bologna, 1994
Pontormo, le felicità turbate, dramma musicale, Garzanti, Milano, 1995
Cantami qualcosa pari alla vita, auto-lettura, a cura di Davide Rondoni, Nuova Compagnia Editrice, Forlì, 1996
La porta del cielo. Conversazioni sul cristinanesimo, a cura di Stefano Verdino, Piemme, Casale Monferrato, 1997
L’Opium chrétien, Guanda, Parma, 1938
Un’illusione platonica e altri saggi, Rivoluzione, Firenze, 1941 ; Massimiliano Boni, Bologna, 1972
L’inferno e il limbo, Marzocco, Firenze, 1949 ; edizione aggiornata: Il Saggiatore, Milano, 1964
Studio su Mallarmé, Sansoni, Firenze, 1952
Aspetti della generazione napoleonica e altri saggi di letteratura francese, Guanda, Parma, 1956
L’idea simbolista, Garzanti, Milano, 1959 ; nuova edizione: 1976
Lo stile di Constant, Il Saggiatore, Milano, 1963
Tutto in questione, Vallechi, Firenze, 1965
Vicissitudine e forma, Rizzoli, Milano, 1974
Discorso naturale, Garzanti, Milano, 1984
Scritti, a cura di Giancarlo Quiriconi, Arsenale, Venezia, 1989
Cronache dell’altro mondo, saggi critici, a cura di Stefano Verdino, Marietti, Genova, 1989
I falsi profeti in Pensiero e poesia nell’opera di Mario Luzi, Vallecchi, Firenze, 1989
Dante e Leopardi o della modernità, Editori Riuniti, Roma, 1991
Nel cuore dell’orfanità, saggio su Rimbaud, prefazione a Opera completa di Rimbaud, Einaudi-Gallimard « Biblioteca della Pléiade », Torino, 1992
Naturalezza del poeta, Garzanti, Milano, 1995
Antoine Fongaro, En témoignage de l’amour éternel dans Vie fidèle à la vie, Obsidiane/Villa Médicis, Paris-Rome, 1984
Philippe Renard, Le sens, la parole, préface à L’Incessante Origine, Flammarion, Paris, 1985
Bernard Simeone, Mario Luzi, l’exigence du réel, postface à L’Incessante Origine, Flammarion, Paris, 1985
Philippe Renard et Bernard Simeone, Entretien avec Mario Luzi en guise de préface à Pour le baptême de nos fragments, Flammarion, Paris, 1987
Philippe Renard, Dans la cage du poème le vent de la poésie, préface à Dans l’œuvre du monde, La Différence « Orphée », Paris, 1991
Bernard Simeone, Loin de toute élégie, préface à Dans l’œuvre du monde, La Différence « Orphée », Paris, 1991
Jean-Yves Masson, Cinq questions à Mario Luzi en guise de préface à La Barque suivi de Avènement nocturne, La Différence, Paris, 1991
Jean-Yves Masson, Présentation de Prémices du désert suivi de Honneur du vrai, La Différence, Paris, 1994
Bernard Simeone, Interrègnes, préface à Livre d’Hypatie, Verdier, Lagrasse, 1994
Philippe Renard, Mario Luzi dans Le Nouveau Dictionnaire des Auteurs, Laffont-Bompiani, Paris, 1994
Philippe Renard, articles sur Cahier gothique, Dans le magma, L’Incessante Origine, Une libation, Pour le baptême de nos fragments, Sur d’invisibles fondements dans Le Nouveau Dictionnaire des Œuvres, Laffont-Bompiani, Paris, 1994
Bernard Simeone, L’Œuvre et l’Atelier, préface à Voyage terrestre et céleste de Simone Martini, Verdier, Lagrasse, 1995
Michela Landi, Mario Luzi, fidèle à la vie, essai, L’Harmattan, Paris, 1995
Piero Bigongiari, Mario Luzi dans Poesia italiana del ’900, Fabbri, Milano, 1960
Sergio Salvi, Il metro di Luzi, Leonardi, Bologna, 1967
Gianfranco Contini, Mario Luzi dans Letteratura dell’Italia unita 1861-1968, Sansoni, Firenze, 1968
Giuseppe Zagarrio, Luzi, La Nuova Italia, Firenze, 1968
A. Luzi, La vicissitudine sospesa, Vallecchi, Firenze, 1968
Claudio Scarpati, Mario Luzi, Mursia, Milano, 1970
Stefano Agosti, Mario Luzi, Su fondamenti invisibili in Il testo poetico, Rizzoli, Milano, 1972
Giacomo Debenedetti, Luzi in Poesia italiana del Novecento, Garzanti, Milano, 1974
Sergio Pautasso, Mario Luzi, storia di una poesia, Rizzoli « BUR », Milano, 1981
Giancarlo Quiriconi, Il fuoco e la metamorfosi: la scommessa totale di Mario Luzi, Cappelli, Bologna, 1981
Anna Panicali, Saggio su Luzi, Garzanti, Milano, 1987
Pensiero e poesia nell’opera di Mario Luzi (testi di Giovanni Raboni, Massimo Cacciari, Anna Panicali, Roberto Berardi, Antonio Prete e Giorgio Mazzanti), a cura di Stefano Meccati (con un inedito di Mario Luzi, I falsi profeti), Vallechi, Firenze, 1989
L. Rizzoli, Mario Luzi, Mursia, Milano, 1993
Mario Luzi a cura di Giorgio Tabanelli, prefazione di Carlo Bo, Edizioni del Leone, Venezia, 1994
Philippe Renard, Mario Luzi, frammenti e totalità. Saggio su « Per il battesimo dei nostri frammenti », trad. Anna Dolfi e Giuditta Isotti Rosowsky, Bulzoni, Roma, 1995
Stefano Agosti, Poesia italiana contemporanea. Saggi e interventi, Bompiani, Milano, 1995
Marco Marchi, Invito alla lettura di Mario Luzi, Mursia, Milano, 1998
Mario Luzi, la voix polyphonique du monde
Le poète Mario Luzi est mort lundi 28 février à Florence où il résidait,...
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