Gert Jonke

L’école du virtuose

Traduit de l’allemand (Autriche) par Uta Müller et Denis Denjean

Collection : Der Doppelgänger

192 pages

15,22 €

978-2-86432-166-8

mars 1993

Deux reflets d’une même aventure mentale sont ici proposés par le metteur en scène d’un théâtre intérieur qui se plaît à nous prendre au piège de sa virtuosité.

Un compositeur aux prises avec de graves difficultés créatrices se trouve confronté à l’étrange fantaisie de ses deux amis, le photographe Anton Diabelli et sa sœur, qui ont décidé de répéter à l’identique une fête donnée l’année précédente. Le nom même du photographe, homonyme du célèbre musicien viennois sur une valse duquel Beethoven composa les Variations opus 120, semble promettre que quelque variation, justement, ne saurait manquer de se glisser dans leur projet. Les invités officiels, irrésistibles caricatures de la bourgeoisie d’une ville de province autrichienne dont le caractère purement imaginaire fait les délices du romancier, ne pourront empêcher l’irruption d’une musique inaccessible qui mettra leur fragile existence en danger, et livrera le narrateur à l’énigme du souvenir d’un amour perdu.

Dans la seconde partie, le même compositeur se découvre un frère avec lequel il a fréquenté le conservatoire de la ville, et qui l’emmène rendre visite à leur ancien professeur. Égarés dans le labyrinthe du conservatoire, les deux frères aboutissent au grenier, monstrueuse métaphore du cerveau du narrateur, où dorment des pianos neufs et pourtant hors d’usage – à l’image de ses facultés mentales – qui causeront à tous les personnages les pires difficultés.
Le titre de L’École du virtuose, emprunté aux exercices de piano de Czerny, définit l’écriture de ce livre drôle et attachant qui, par-delà sa virtuosité, est d’abord un admirable récit musical, avec ses thèmes, ses reprises, ses mouvements – de l’adagio stellaire au scherzo endiablé – dont l’écriture ne verse jamais dans l’expérimentation gratuite mais tient le lecteur en haleine par la magie du rythme et le jeu de miroir des dialogues.

De nos jours, dit mon frère, aucun compositeur ne devrait avoir l’autorisation de composer ne serait-ce qu’une seule note sans pouvoir justifier d’un stage pratique dans une entreprise de transport de pianos ! Il va de soi que les dimensions de la boîte doivent être légèrement supérieures à celles du piano : le piano doit se trouver à l’aise dans sa boîte ! L’écart entre les parois externes du piano et les parois internes – la doublure de la boîte – doit être de trois centimètres au moins, de cinq centimètres au plus. Ainsi, le piano se trouve suffisamment à son aise, ce qui est d’une importance primordiale pour la respiration de ses parois externes, mais il faut en plus un dispositif de fixation dans les coins, évidemment, pour éviter que le piano à queue ne subisse des chocs dans sa boîte pendant son transport le long des routes et des chemins, très souvent mal entretenus. La boîte, comme on peut le voir ici, dispose d’une paroi externe, le plus souvent en chêne, et d’une paroi interne, une doublure faite en bois tendre, le plus souvent en pin. Si l’on a besoin d’une doublure interne en pin, c’est que le bois tendre favorise à la fois la respiration naturelle, indispensable au bois des parois externes de l’instrument, et sa bonne hygrométrie, c’est-à-dire le maintien d’un taux d’humidité le plus proche possible de la normale. Le taux doit se rapprocher le plus possible de celui que requiert la nature de l’instrument, pour accroître simultanément l’élasticité de la boîte. Entre la paroi externe et la doublure interne de la boîte, et aussi en partie entre la doublure interne de la boîte et le bois externe du piano, ne pas oublier surtout le crin végétal ni l’étoupe en quantité suffisante, absolument indispensables dans tous les cas pour créer en plus un tampon stable, légèrement élastique et surtout indéformable. Si on veut fabriquer des boîtes plus économiques, les parois externes peuvent, à la demande, être exécutées en hêtre blanc, rouge, ou pourpre, dit mon frère, pour réduire le coût très onéreux du chêne. Pour des raisons de sécurité supplémentaires, il est souhaitable, en tout cas, d’ajouter des vis ou des clous – ou, mieux encore des vis et des clous – sur les parois externes de la boîte, aux endroits, précisément, qui, pendant le transport, seront tout particulièrement mis à l’épreuve. Si le client considère comme insuffisantes toutes ces dispositions relatives à la sécurité, il peut commander ce qu’on appelle un « emballage de luxe pour piano ».

Prix Laure-Bataillon, 1993 (pour la traduction)