Christophe Pradeau
La grande sauvagerie
Collection : Collection jaune
160 pages
13,18 €
Epub : 9,99 €
PDF : 9,99 €
978-2-86432-601-4
janvier 2010
La Grande Sauvagerie, c’est le nom que les coureurs de bois du Canada français ont donné à ce qui s’est appelé, en d’autres temps et d’autres lieux, The Wild : l’espace inviolé, le blanc sur la carte. L’expression s’est perdue et ne parle plus guère à personne.
La Grande Sauvagerie, c’est aussi un lieu-dit, un rocher qui domine un coin de la campagne limousine. Les guides touristiques le signalent à l’attention pour sa lanterne des morts, une simple tour de granit, sans grâce.
Les habitants du pays ont oublié depuis longtemps qu’un feu y brûlait jadis, qui guidait les voyageurs dans la nuit.
Thérèse Gandalonie a grandi à Saint-Léonard, à l’ombre de la lanterne des morts. Puis elle s’en est allée. Elle a traversé l’océan. Elle a découvert, dans les bibliothèques américaines, le Journal inédit de Jean-François, peintre d’ex-voto établi à Montréal, cousin à la mode de Bretagne du Grand Rameau. Elle a compris en le lisant que les deux Grandes Sauvageries renvoyaient l’une à l’autre.
Quand elle s’en retournera, elle saura désormais apercevoir, infusée dans le paysage, une histoire oubliée de tous. Elle la déchiffre pour nous. C’est sa voix que nous entendons, une voix rocailleuse traversée par le vol des lucioles.
Je devais avoir quatorze ou quinze ans quand elle fit retour dans ma vie. Je jouais à cache-cache dans un coin de la Place, un peu gênée d’être de loin la plus âgée du petit groupe d’enfants criailleurs ; je savais bien que ce n’était plus de mon âge et je me sentais obligée de m’en excuser en mimant nonchalance et détachement ; le jeu venait tout juste de l’emporter sur mon affectation quand, soudain, alors que je n’avais plus d’autre idée en tête que de me soustraire aux regards, le mur contre lequel j’étais adossée se déroba. Contrairement à ce que tout le monde disait, il y avait une ouverture dans la continuité des façades, une échappée par où on pouvait la voir, mais il fallait pour cela reculer, s’éloigner, quitter la presse, l’animation de la Place, gagner le lieu mystérieusement disgracié, où achevaient de rouiller, avec la pesanteur sereine des choses abandonnées à elles-mêmes, des pièces d’attelage, des pots d’échappement, des pare-chocs, tout un embarrassement de ferraille, éternel objet de discorde, de controverses électorales, déversé contre le mur du Parc, falaise de granit recouverte tout entière par l’élasticité poussiéreuse, un peu inquiétante, du lierre ; j’allais pourtant m’y adosser quelquefois, me faisant un point d’honneur de surmonter mes appréhensions, pour le simple plaisir peut-être de braver les recommandations maternelles, troublée aussi de le sentir s’incurver doucement autour de moi, enveloppant à la façon d’un nid. Ce jour-là, alors qu’une vague appréhension, ou bien plutôt une espèce de remords, m’avaient toujours retenue de me laisser aller, je décidai de m’abandonner pour de bon, toute la poussière du monde dût-elle m’engorger les poumons et mon corps devenir la proie impuissante des araignées à l’affût. Je disparus aussitôt dans un froissement d’élytres. Les épaules heurtées par la muraille, la joue frôlée par la déroute d’un lézard, je mis quelques secondes à reprendre mon souffle, la gorge en feu, courbée, suffocante sous la pluie jaunâtre du salpêtre. Quand j’eus enfin repris mes esprits, écartant le réseau vernissé du feuillage, et bien que la lumière me fît ciller les yeux, j’aperçus, d’abord embuée et incertaine, puis avec la netteté d’une révélation, une lacune dans la suite des toits, une simple fente à hauteur des combles, mais qui introduisait brutalement parmi nous la silhouette de la lanterne des morts. Il se produisit alors quelque chose d’étrange, une sorte de déséquilibre dans mon regard, un trouble, une inversion des rapports : la mousse roussâtre des toitures avait reculé dans les marges, dissoute dans un brouillard de taches colorées, tandis que s’imposait à moi, avec un sentiment de proximité presque onirique, le vert profond, aquatique, d’un boulingrin, avec, tout autour, les arbres centenaires et la façade d’un château, des volets clos, une tour accolée au corps de logis, une tourelle plutôt, qui se devinait à peine derrière les frondaisons du cèdre, et puis surtout, à une centaine de mètres du perron, profondément enracinée dans le sol spongieux de la colline, la lanterne, dont je détournai très vite les yeux, comme gênée d’avoir surpris un secret, comme si elle nous observait.
Prix Lavinal, 2010
Prix Thyde-Monnier de la SGDL, 2010
Blog de la Librairie Mollat (Bordeaux), 16 juin 2010, par Titus Curiosus
Télérama – Le Guide des festivals, suppl. nº 3152, 9 juin 2010, par Marine Landrot
Le Temps, 13 mars 2010, par Eleonore Sulser
Télérama, 20 mars 2010, par Nathalie Crom
Mollat.com, présentation vidéo de La Grande Sauvagerie
Le blog ePagine, 20 avril 2010, par Christophe Grossi
Olé !, 3 mars 2010, par Daniel Bégard
La Page 2, 22 février 2010
L’Humanité, 18 février 2010, par Alain Nicolas
La Quinzaine littéraire, 15 février 2010, par Hugo Pradelle
L’Express, 9 février 2010, par Alexandre Fillon
Lire, février 2010, par Alexandre Fillon
Le Matricule des anges, février 2010, par Jérôme Goude
Le Magazine littéraire, janvier 2010, par Serge Sanchez
Livres hebdo, 27 novembre 2009, par Jean-Maurice de Montremy
« Esprit critique », France Inter, 25 mai 2010.
« Du jour au lendemain », France Culture, 2 avril 2010.
« À plus d’un titre », France Culture, 15 mars 2010.
« Entre les lignes », Radio Suisse Romande, 15 février 2010.
« Jeux d’épreuves », France Culture, 6 février 2010.
« Dans quelle éta-gère… », France 2, 3 février 2010.
« L’Atelier littéraire », France Culture, 24 janvier 2010.