Gil Jouanard
Plutôt que d’en pleurer
Comme dans un inventaire à la Prévert, on trouvera dans ce livre : un général, beaucoup d’écrivains ratés ou révérés, un braconnier unijambiste, un romantique, un caméléon, un homme à particule et beaucoup d’autres de basse extraction qui postulent ou non, à tort ou à raison, pour la postérité.
Ces « caractères », l’auteur les croque avec tendresse, émotion, rosserie et irritation ou respect et admiration, mais toujours à travers le détail d’une vie, ce qui donne à cette galerie de portraits parfois tragiques la tournure d’une comédie.
Jean Follain, natif de Canissy
Les rares commentateurs de l’œuvre de Follain ne semblent pas avoir particulièrement remarqué son érotisme gourmand et rural. Pourtant, sa poésie est traversée de nombreuses femmes tièdes, vibrantes, pleines de courbes et d’odeurs, bien souvent reflétées par des miroirs. Pourtant, dans l’air rempli d’effluves de café grillé et de tilleul, on distingue le parfum d’« une jeune fille nourrie de lait et de viande » sur qui s’ouvre le hasard d’une fenêtre. Si Baudelaire a chanté la chevelure des femmes, Follain, lui, n’a cessé de la caresser, de la nouer et de la dénouer, de la respirer, de l’étaler sur la surface de ses livres. Elle est obsessionnellement présente, et dans tous ses états. D’abord sous la forme du fameux chignon, récurrence obstinée d’une émotion d’enfance. Puis, accident ou geste d’intimité, le chignon se défait, la chevelure coule à flots sur les épaules, le long du dos et des bras, entraînant la chute d’une épingle. Cette chute fait un bruit lancinant dans la tête de Jean Follain ; ses échos se font entendre partout : « plus que tout, j’entendais l’épingle à cheveux tomber ; je l’entends toujours. » Il y a aussi les cheveux tressés des élèves de la pension Jeanne d’Arc, ceux de la fille de l’ivrogne, « silhouette pâle à la natte ouvragée ». Enfin, partout « des étincelles s’échappent d’une chevelure qu’on peigne ». Qu’est-ce qui restera, quand la « belle argile » sera décomposée, sinon, sur le squelette, cette chevelure fidèle par-delà la mort, qui aura même continué de croître plusieurs heures après l’arrêt du cœur ? Il restera cela, et le bruit de l’épingle qui ne cesse de tomber, et les chignons qui se défont et se recomposent, et la poitrine qui s’avance dans la nuit du désir et de l’anxiété.
Libération, 23 novembre 1995, par Jean-Baptiste Harang
Le Nouvel Observateur, 30 novembre 1995, par Jean-Louis Ézine
Choisir, janvier 1996, par J. Suquet
Le Monde, 22 décembre 1995, par Patrick Kéchichian
« Un livre, des voix », par Claude Mourthé, France-Culture, 4 janvier 1995
« Panorama », par Jacques Duchateau, France-Culture, 4 janvier 1995
« Du jour au lendemain », par A. Veinstein, France-Culture, 23 juillet 1996