Ilse Aichinger

Un plus grand espoir

Traduit de l'allemand (Autriche) par Uta Müller et Denis Denjean

Collection : Der Doppelgänger

288 pages

20,29 €

978-2-86432-499-7

mars 2007

Au plus fort de la Deuxième Guerre mondiale, dans une ville qui ressemble à Vienne, Ellen, une petite fille d’une douzaine d’années, tente d’obtenir un visa pour rejoindre sa mère réfugiée aux États-Unis. Autour d’elle, pour survivre, un groupe d’enfants juifs, ses amis, opposent à leur sort tragique un espoir « plus fort que la mort ». Un pied dans chaque monde (sa mère et sa grand-mère sont juives, mais son père ne l’est pas), Ellen tente de faire vivre cet espoir des deux côtés, accompagnant ses amis dans leurs jeux et leurs rêves. Vue par les yeux des enfants, la persécution nazie apparaît dans toute son insondable cruauté ; mais Ellen est aussi celle qui, inlassablement, interroge le monde qui l’entoure, et qui, en plein naufrage, réveille les adultes endormis avec ses questions insistantes, jusqu’aux dernières pages du livre où un « plus grand espoir » lui sera révélé.
Son voyage halluciné dans l’hiver et la nuit apparaît alors comme une parabole sur la force des faibles et l’impuissance des forts.
Avec ce livre paru en 1948, Ilse Aichinger, née en 1921 à Vienne, a donné à la langue allemande, longtemps avant Le Tambour de Günter Grass, la première fiction qui parlait du scandale des années de guerre. Nourri d’autobiographie savamment distanciée, Un plus grand espoir a rapidement fait figure de classique en Autriche et en Allemagne. Il a valu à son auteur une très grande célébrité, confirmée ensuite par des nouvelles dont la traduction complète paraît simultanément sous le titre Eliza Eliza.

« Il était, balbutia la grand-mère, il était une fois…
— C’est ça », s’exclama Ellen excitée, jetant le pain et se penchant davantage pour entendre ce qui venait de loin. « Continue, grand-mère, continue ! » Mais à nouveau son balbutiement se tarit. Ce n’était pas si simple de raconter des histoires. Elles exigeaient des mains ouvertes avec entre les doigts des interstices pour les laisser couler. Et elles exigeaient des yeux ouverts.
Plusieurs fois encore, la vieille femme répéta ces quatre mots, mais il n’y en eut pas d’autres. Les histoires étaient bien dans l’air, mais elles dormaient et dès qu’elles se réveillaient, elles se mettaient à la narguer, descendaient jusqu’au bord de ses lèvres et s’enfuyaient aussitôt. « Le poison », dit-elle distinctement un moment après. Ellen fit non de la tête. La grand-mère l’implora de ses mains levées, chuchota un dernier « il était une fois », puis toutes ses forces douloureuses l’abandonnèrent et elle s’endormit.
« Mais non », dit Ellen désemparée. Elle alluma la veilleuse et sursauta. Le corps posé là était si étranger, si lointain, si emmuré en lui-même qu’il n’avait plus rien de sa grand-mère. Le corps posé là respirait avec tant de difficulté, haletait tant qu’il n’avait plus rien de l’aisance tranquille d’une paisible citoyenne.
« Grand-mère ! » dit Ellen d’une voix hésitante, et elle mit son visage chaud contre le visage froid dans les coussins. Le halètement se calma peu à peu, la respiration devint plus facile. Mais tout restait si loin.
« Bon, dit Ellen décidée, je vais donc raconter l’histoire moi-même ! » Elle ne savait pas pourquoi elle commençait par le petit chaperon rouge, et elle ne savait pas non plus à qui s’adressait ce conte, à la nuit, au mois de mars ou au froid humide qui s’insinuait par les fentes des fenêtres. Car la grand-mère dormait et seules ses paupières frémissaient de temps en temps dans la faible lueur.

La Revue des livres pour enfants, avril 2008, par Françoise Le Bouar

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« Littérature », par Dominique Jeuvrey, Radio Campus, mercredi 6 juin 2007 à 19 h.